Marin Dacos, ornithorynque des humanités numériques

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Couverture Paru dans Sciences humaines en mars 2017. https://www.scienceshumaines.com/marin-dacos-ornithorynque-des-humanites-numeriques_fr_37796.html

Plus de quinze ans après avoir créé le site Revues.org, Marin Dacos a été récompensé pour son travail sur l’accès libre dans le domaine des sciences humaines et sociales.

L’ornithorynque est un animal bien outillé : il a une fourrure, un bec, pond et peut aller dans l’eau. Il en est de même pour l’expert en humanités numériques : il doit à la fois posséder des compétences dans le domaine de l’édition, du Web, et des sciences humaines et sociales. Voici comment Marin Dacos, 45 ans, directeur du Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo), résume son métier (1). Un métier hybride, donc, qui l’a conduit à recevoir, en juin dernier, la médaille de l’innovation du CNRS, pour le travail accompli avec OpenEdition, une infrastructure regroupant quatre portails différents : Revues.org (plus de 400 revues hébergées), Hypotheses.org (près de 150 carnets de recherche), OpenEditionBooks (plus de 2 500 ouvrages) et enfin Calenda (un agenda sur l’actualité de la recherche). Soit 64 millions de visites en 2015. On comprend mieux pourquoi cet historien de formation se définit comme un « passeur de sciences humaines ». Mais pour lui, la condition de cette transmission doit être l’accès libre – ou open access – car la moindre barrière (technique, juridique ou commerciale) réduit considérablement l’impact d’un article.En 2012, justement, la Commission européenne propose que les travaux financés par des fonds publics soient publiés en libre accès au plus tard six à douze mois après publication. En France, l’article 7 de la loi pour une République numérique, promulguée en octobre dernier, reprend aussi cette idée… qui est loin de faire l’unanimité dans le monde de l’édition des sciences humaines. Les revues indépendantes et les plates-formes privées comme Cairn craignent que le remède de l’open access soit pire que le mal : pourront-elles survivre au manque à gagner engendré par l’accès gratuit ? Et si les coûts d’édition étaient supportés par des subventions publiques, l’indépendance et l’esprit critique des auteurs pourraient-ils être garantis ?

Dans sa chambre d’étudiant

L’open access n’était pas à l’agenda il y a quinze ans. « On était considérés comme des militants, avec un couteau entre les dents. Des “partageux”, prêts à sacrifier l’édition au titre d’une démocratisation démagogique de l’accès au savoir », se souvient M. Dacos.En 1999, il fait partie du comité de rédaction de deux revues d’histoire. Pour les développer, au lieu de créer deux sites Web isolés, il décide de les réunir sur une plate-forme commune pour les rendre plus visibles. C’est le début de l’aventure. Il obtient « un petit bout de serveur » à l’université d’Avignon. « J’ai acheté le nom de domaine Revues.org avec mes sous d’étudiant – dans mes souvenirs, c’était 700 francs par an. » Il invite d’autres revues à le rejoindre et en 2007, le CNRS décide de le recruter et lui donne les rênes d’une structure à Marseille, le Cléo. « Je pense que c’était impossible de créer ce projet à Paris, au centre du système. Pour moi, il y a trop de jeux de pouvoir, de sédimentations pour qu’un jeune doctorant en histoire contemporaine, que personne n’attend, pas “fils de”, puisse créer quelque chose… que tout le monde attend, en réalité », pense M. Dacos, que l’on rencontre d’ailleurs au cœur de la cité phocéenne.

Ouvrir l’accès au savoir

La volonté de cet ingénieur de recherche au CNRS – au service, donc, de la recherche – d’ouvrir les articles scientifiques au plus grand nombre a été forgée par son histoire familiale. Sa mère, professeure de mathématiques, avait créé une petite école dans un quartier pauvre de Liège, en Belgique, avec l’association ATD-Quart monde. Son père, artiste, avait une presse pour la gravure à la maison. « Mais le projet vient aussi de mes grands-parents ouvriers de l’industrie liégeoise et petits paysans du Sud-Est qui ont eu des enfants promus grâce à l’école de la République. » Ceci explique peut-être aussi l’importance, chez ce contributeur Wikipédia, de l’accès à la connaissance pour tous.

Nul doute que l’accès ouvert défendu par M. Dacos et les débats qui en découlent ouvriront de nouvelles perspectives dans le monde de l’édition scientifique, et une occasion d’inventer de nouveaux modèles de financement. ●


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